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Portrait

Clémence Côte, force tranquille

A 27 ans, Clémence Côte est seule à la tête de l’exploitation familiale, à Crémeaux. Après la reprise de la ferme en 2020, elle s’engage auprès de nombreuses structures, d’abord par sentiment d’obligation, finalement par conviction. Portrait.

Clémence Côte, force tranquille
Clémence Côte a repris les rênes de l’exploitation familiale en 2020, motivée par son amour pour les animaux. ©ABP

Un chaton miaule devant la porte, Clémence Côte ouvre la porte de chez elle. L’intérieur est impeccable, rangé. Fine, les yeux et les cheveux noirs, elle s’assoit, replie une jambe sous elle et serre une main autour d’un café, l’autre son genou. Elle n’a pas l’habitude de l’exercice mais ni son regard ni sa voix ne flanchent. 

La jeune femme est née sur la ferme familiale de Crémeaux, il y a 27 ans. N’est jamais vraiment partie. Ses études, elle les partage entre un bac S au lycée de Ressins, suivi d’un BTS Production animale avant d’intégrer l’ISARA, une école d’ingénieurs agricoles, en deuxième année. « A l’époque, je ne savais pas encore si je voulais m’installer. Mais savoir que les vaches allaient être à quelqu’un d’autre à la retraite de mon père, ce n’était pas possible », relate-t-elle. Ce sont ces quelques mois passés dans la capitale des Gaules qui la décide et elle tranche : elle sera agricultrice. Elle lâche le cursus en cours de route pour faire une licence professionnelle en agriculture biologique conseil et développement (ABCD) à Clermont-Ferrand qu’elle termine en 2019. S’ensuit le parcours installation et elle prend les rênes de la ferme en 2020. 

Lorsqu’elle s’installe, Clémence Côte fait malgré tout le choix de quelques aménagements : elle élargit le bâtiment des laitières pour créer des cases pour les génisses afin que tous les animaux soient regroupés sous le même toit. Une nouveauté qui lui permet de « mieux s’en occuper » puisqu’elle les a tous sous les yeux d’un seul coup. Elle installe des tapis sur des logettes pour le confort des vaches, d’autant qu’elle continue à pailler malgré tout, et change le distributeur automatique de concentrés (DAC) qui vieillissait. Lors de la reprise, son père lui laisse 54 hectares. Aujourd’hui, après une opportunité, l’exploitation s’étend sur 80 : 10 de méteil, 20 de prairies temporaires et le reste en prairie permanente. 

Travailler 

Alors qu’elle n’a fait ni apprentissage ni alternance, la jeune femme s’appuie sur les ressources dont elle dispose : les mois de stage, notamment en Suisse au cours de son BTS, et surtout, son père, Jean-Luc. « S’installer en reprise familiale, c’était arrangeant, notamment sur le montant, assume-t-elle sans ciller. Et puis, je savais que mon père restait comme salarié, c’était rassurant. » Un duo qui fonctionne bien : si Clémence aime à passer du temps avec son troupeau de 45 vaches laitières, le tracteur, ce n’est pas son truc. « Heureusement, quand je me suis installée, mon père et aussi le contrôleur laitier, en qui j’ai une confiance aveugle, m’ont dit qu’aujourd’hui, pour bien gérer sa ferme, il n’y a pas besoin de faire huit heures de tracteur par jour ! » Si la structure, qui peut produire 357 000 litres par an et livre des animaux en vif à un négociant privé, serait une charge importante pour une seule personne, à deux, « c’est très confortable ». 


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L’équilibre père-fille s’est construit avec le temps. « Les dernières années, il m’a laissée prendre la place et la répartition des rôles que nous avons aujourd’hui s’est fait très naturellement », analyse l’exploitante en jetant un coup d’œil à la fenêtre, histoire de surveiller le chaton grattant désormais au carreau. Un retrait progressif qui lui permet aujourd’hui de prendre les décisions seule. « J’écoute toujours son avis, mais il me dit toujours ‘’ce n’est QUE mon avis’’ et au final, c’est moi qui tranche. » Une stabilité qui s’explique aussi par la façon dont fonctionne la jeune femme : le système est très similaire à celui que pratiquait son père. « Il commençait plus tôt le matin alors que moi je finis plus tard le soir », plaisante-t-elle. 

Le bras qui enserrait son genou s’est relâché. Parler de ses animaux, sa passion, l’anime. Dehors, le chaton a remplacé les grattements par des miaulements. Sa maîtresse sourit, son regard s’adoucit avant de se faire à nouveau concentré. 

S’engager

Travailler avec son père lui permet aussi de se dégager du temps. Derrière ses yeux bruns, sérieux, on l’imagine mal abandonner la ferme pour s’amuser. Pas son genre. Alors quoi ? Jean-Luc était engagé dans différentes instances. Sa fille a vu l’énergie qu’il y investissait et se l’était promis : jamais elle ne ferait pareil. Promesse d’ivrogne pour celle « qui ne sait pas dire non ». Alors quand la présidente de la caisse locale de Groupama lui demande si elle veut prendre la place de son père à sa retraite, elle signe : « J’ai toujours l’impression que si je dis non, ce n’est pas bien, que je ne veux pas donner de mon temps aux autres », confie-t-elle sans ciller. Mais cette incertitude des débuts s’est transformée en une « super expérience », lorsqu’elle découvre le rôle de déléguée Pass Avenir qui lui a permis d’aller à la rencontre d’autres jeunes, de découvrir des lieux qu’elle n’aurait pas visité autrement et de continuer à se former. 

Si le but affiché du Pass Avenir est de pousser ses délégués à prendre d’autres responsabilités au sein de Groupama, ce qui sera le cas de Clémence cette année, s’y investir a permis à la jeune femme de s’affirmer dans ses autres responsabilités. Engagée chez Jeunes agriculteurs depuis son installation, elle est rapidement devenue la présidente du canton de Saint-Just-en-Chevalet/Saint-Germain-Laval. « En 2021, mon prédécesseur arrêtait et personne ne voulait prendre la suite. On m’a un peu poussée : j’étais une fille, installée en bio... Ça faisait bien ! Et de toute façon, il fallait que quelqu’un le fasse. » Alors elle prend ses responsabilités, endosse le rôle. Après tout, elle assistait déjà aux réunions, cette nouvelle tâche ne lui a pas apporté une grosse charge de travail supplémentaire. 


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Elle retrousses ses manches, va à l’encontre de sa nature et c’est à ce moment qu’elle profite de son expérience du Pass Avenir. « A l’oral, je n’ai pas peur de parler devant tout un groupe anonyme. C’est plus difficile quand je suis en réunion, avec des gens que je connais. » La première année de son mandat, elle convient ne pas trop savoir quoi dire, ni animer les réunions. Alors que son second s’achève cette année, sa voix ferme ne permet pas de douter qu’aujourd’hui, elle sait exiger des réponses à ses questions. Si elle a apprécié découvrir ce rôle d’élue, elle ne sera pas candidate à sa propre réélection en décembre, ayant bon espoir que quelqu’un d’autre prenne la place. Également trésorière du comité des fêtes de son village et membre du conseil d’administration pour la Cuma de Crémeaux, où elle se rend « quand [elle] peu[t] », ses journées sont bien remplies. 

Un emploi du temps qui ne lui en laisse guère pour développer sa vie personnelle, d’autant plus qu’en ce début d’année, elle a accepté d’être candidate, puis élue, sur la liste FDSEA-JA pour les élections à la Chambre d’agriculture. Comme à l’ordinaire, elle a d’abord pensé à refuser. Avant de se laisser convaincre et d’embarquer pour une nouvelle expérience. 

En hôte de maison, Clémence Côte raccompagne à la porte d’entrée. A nouveau derrière la porte, le chaton tente une nouvelle fois de se réfugier au salon. Intercepté en plein vol par sa maîtresse, il ne file pas tout droit dehors, mais prend plutôt une seconde dans ses bras. 

Alexandra Blanchard-Pacrot