Gaec des Bords de l’Isable
Créer une retenue collinaire, un long fleuve tranquille ?

Entre Saint-Germain-Laval et Pommiers-en-Forez, l’exploitation familiale de Marie, Bertrand et David Lagrange vient de créer une seconde retenue d’eau. Pourquoi et comment ? Ils reviennent sur ce projet, qui a mis du temps à se concrétiser mais n’a pas eu trop d’obstacles à contourner.

Créer une retenue collinaire, un long fleuve tranquille ?

Il est presque difficile d’imaginer qu’il s’agissait d’un “simple” pré il n’y a encore pas si longtemps. En contrebas de la maison de Marie et Bertrand Lagrange, sise sur leur exploitation à cheval entre Saint-Germain-Laval et Pommiers-en-Forez, une retenue collinaire creusée durant l’été 2022 s’est déjà fondue dans le décor. « C’est très beau, très agréable à contempler », apprécie le couple, à la tête du Gaec des Bords de l’Isable avec David, le frère de Bertrand. 

Un panorama certes apaisant, mais qui n’a pas eu tout d’un long fleuve tranquille. « C’est quand même un parcours du combattant, reconnaît Marie. Il faut accepter d’y passer du temps et ne pas se décourager. » « Ce n’est pas non plus insurmontable au niveau administratif, d’autant que la Chambre d’agriculture nous aide beaucoup, ajoute Bertrand. Cela peut par moment sembler fastidieux et compliqué à comprendre, comme par exemple pour les calculs des débits d’eau autorisés. Malgré tout, le jeu en vaut la chandelle si c’est techniquement réalisable. » « C’est vrai que je dors beaucoup mieux la nuit maintenant, c’est un gros plus dans la gestion des troupeaux », convient son épouse.

Ce Gaec, créé en 2003, avait l’avantage de connaître le processus. Il s’agit effectivement du deuxième point d’eau créé après celui de Pommiers-en-Forez il y a près de quinze ans. Lequel avait vocation à irriguer le maïs et abreuver les animaux. À savoir un cheptel qui compte à présent 34 vaches laitières de race Prim’hosltein à Saint-Germain-Laval (334 000 litres de lait vendus à Sodiaal), 80 vaches allaitantes et des veaux de boucherie charolais à 6 km de là.

« On voit l’avenir plus sereinement »

Depuis, le contexte a évolué : « Le troupeau a grossi, mais ce sont surtout les besoins en eau qui ont changé. Il y a quinze ans, 1 hectare de maïs nécessitait 1 300 m3 d’eau. Quand on est en année de sécheresse, il en faut désormais 2 000 m3… » Plutôt que d’agrandir son installation, le trio a privilégié un projet complémentaire, dont la concrétisation vient sécuriser l’ensemble. « On voit l’avenir plus sereinement car cela faisait quatre, cinq ans qu’on achetait de l’aliment alors qu’on a la surface (168 hectares sur les deux sites) pour être autonomes, souligne Marie Lagrange. Sauf épisode de grêle, ce ne sera plus nécessaire en principe. » « Nous aurons un peu plus de travail avec la mise en place de l’enrouleur en fin de journée – nous avons choisi d’arroser la nuit pour respecter le cycle de la nature – mais cela reste très intéressant », complète son époux.

Plusieurs étapes ont ponctué leur chemin jusqu’à arriver à l’étang qui domine la route de Boën. Le premier interlocuteur a été la Chambre d’agriculture, pour une visite de terrain et une pré-étude. Christine Gachet, du bureau d'études géotechniques savoyard Pyrite ingénierie, a ensuite réalisé des sondages dans le sol, puis l’Office français de la biodiversité (OFB) est venu s’assurer qu’aucune zone humide ne serait impactée. « On a eu la chance de ne pas rencontrer de véritable barrière, analyse Bertrand. Je conseille tout de même aux agriculteurs engagés dans ce type de démarche de ne rien cacher, mais, au contraire, de ne pas hésiter à solliciter l’administration. En dialoguant, on y arrive et toutes nos demandes ont d’ailleurs été acceptées. »

Une partie de l’exploitation est classée zone nitrates et elle avait été le théâtre d’une visite de terrain de la préfète : « Comme nous étions déjà irriguants, cela n’a eu aucun impact sur notre projet puisque la seule interdiction concernait la création d’une retenue pour faire plus de cultures. Or nous avons simplement procédé à des aménagements. La retenue favorisant un meilleur rendement avec des maïs de 3 m de haut contre 1 m auparavant, on a diminué leur surface pour faire de la place à 4 ha de luzerne qui apporteront de l’azote. »

Un dossier d’une centaine de pages

Toujours secondé par la Chambre d’agriculture et Didier Grivot en particulier, le Gaec des bords de l’Isable a monté un dossier d’une centaine de pages avec plans et photos. Il a fallu environ un an et demi pour arriver à ce document adressé à la préfecture en vue de l’arrêté autorisant la famille d’agriculteurs à passer à la phase concrète. « Nous avons aussi déposé une déclaration préalable de travaux en mairie », précise Bertrand. Avec son épouse et son frère, ils ont confié les travaux de terrassement à Cyril Delombre TP (Neaux) et sollicité l’entreprise Chomat Arrosage (Saint-Just-Saint-Rambert) pour la solution de pompage.

Ce système diffère effectivement de celui déjà en place à Pommiers-en-Forez. Alors que le premier se trouve sur un bassin versant et est alimenté par des fossés, le second s’alimente dans la rivière locale, affluent de la Loire. « Nous avons le droit de prélever dans l’Aix entre le 1er novembre et le 31 mars, il y a aussi un peu de drainage en complément, détaille Bertrand Lagrange. C’est un bassin de stockage hivernal, ce qui signifie que seuls les orages peuvent le remplir en dehors de cette période. Nous ne pouvons effectuer aucun prélèvement l’été, nous démontons d’ailleurs le système de pompage au 1er avril. »

L’étang s’est tranquillement rempli cet hiver et la vie aquatique s’installera progressivement. En attendant, la famille Lagrange planche sur l’aménagement paysager de son installation. Souhaitant se passer de mécanisation pour l’entretien des digues, un âne et des moutons s’affairent à proximité de la cabane en bois installée au bord de cette eau qui sert aussi de réserve incendie pour les pompiers.

D’autres projets en cours

Si les époux Lagrange peuvent souffler, ils ont encore du pain sur la planche. « Bertrand a toujours des idées, mais je lui ai demandé de freiner », s’amuse Marie. « J’aime les projets, c’est un métier-passion », admet l’intéressé, sourire aux lèvres. Le photovoltaïque a notamment ses faveurs. Les toits d’une grange et d’un bâtiment construit en 2019 sont équipés, il en sera de même sur celui qui sortira de terre dans le courant de l’année. Si l’électricité qu’ils produisent est destinée à la vente, un trackeur solaire en fonctionnement depuis quelques semaines rendra l’exploitation quasiment autonome en la matière. Promis, il sera temps ensuite de ralentir et de veiller à « se dégager du temps ».

À moins que la nouvelle génération décide de s’investir à son tour, relève Bertrand. Si lui et Marie ont un garçon de 16 ans ainsi que deux filles de 8 et 13 ans (David est le père d’un petit garçon), ce n’est pas dans les tuyaux pour l’instant. « Notre grande fille aime conduire le tracteur, mais on ne peut pas dire qu’on leur a transmis le virus », estime Marie. Sait-on jamais ? Après tout, elle-même ne se destinait pas à ce quotidien-là avant de s’installer en 2001. « Même si j’aimais l’agriculture, j’avais envie de voir autre chose », se rappelle celle qui s’est donc orientée vers le secrétariat mais a vite déchanté : « Travailler assise derrière un bureau toute la journée ne me convenait pas. J’ai donc décidé de reprendre la ferme de mes parents et le BPREA passé à Précieux en formation continue m’a confortée. Je suis dans mon élément avec les animaux. L’appel de la nature, ça me parle ! Je préfère travailler dehors que dans la maison. Il a toujours été clair que c’était moi qui assurerais la traite, mon réveil sonne donc chaque matin à 5h45 pour me permettre ensuite d’amener les enfants à l’école. »

Son mari a connu une trajectoire similaire. Si lui et David incarnent la quatrième génération à exploiter les terres de Pommiers-en-Forez, il se voyait davantage dans la mécanique. La réalité de la vie l’a rattrapé et il est donc venu aider ses parents avant leur retraite. Notre homme y a pris goût mais n’oublie pas son appétence première et se charge volontiers du matériel en plus de l’administratif. En Gaec depuis pile 20 ans, les deux frères ont fusionné leur entreprise deux ans plus tard avec celle de Marie l’année de son mariage avec Bertrand. « Il venait souvent m’aider, il était donc logique de s’associer pour réunir les deux exploitations », se souvient l’agricultrice. Les rôles sont bien répartis : à elle la gestion des vaches laitières, à David celle des allaitantes, Bertrand se chargeant des cultures et des veaux.

Avec cette organisation bien rôdée, les deux dernières décennies sont passées très vite, assure Marie, qui a abandonné le basket-ball entretemps mais vit désormais cette passion à travers ses deux filles. Les déplacements des jours de match sont fréquents pour cette famille qui veille à couper au moins une semaine par an pour partir en vacances, faisant alors appel au service de remplacement. « Les semaines sont bien chargées. Quand on a un dimanche off, on apprécie de rester à la maison », conclut Marie dans un éclat de rire.

Franck Talluto

Témoignage

Pas de remous à signaler

À une époque où le réchauffement climatique cristallise les divergences d’opinions, la gestion de l’eau est devenue un sujet sensible. Aussi le Gaec des Bords de l’Isable avait-il conscience qu’il pouvait faire l’objet de reproches en créant une seconde retenue sur son exploitation. Pour l’heure, cela n’a pas été trop le cas. « Il y a eu quelques critiques disant qu’on prenait l’eau de la rivière, mais très peu, observe Marie Lagrange. Beaucoup de curieux viennent voir, mais sans a priori, contrairement à ce qu’on aurait pu penser. Comme on est ouvert à la discussion, on leur explique et ça se passe très bien. »