Entretien
« Le travail accompli a trouvé un vrai consensus national »

Président de la SNFM (Section nationale des fermiers et métayers) depuis 2019, Bertrand Lapalus achèvera son mandat le 23 février, au terme de la 75e édition de son congrès national. L’occasion de passer en revue les sujets qui ont marqué son passage à la tête de cette branche de la FNSEA. 

 « Le travail accompli a trouvé un vrai consensus national »
Bertrand Lapalus, président de la SNFM depuis 2019, soit un mandat et demi, ne sera pas candidat à sa propre succession. Parmi ses raisons, il souhaite faire place à du sang neuf pour prendre le relai.

En quoi consiste la SNFM ?

Bertrand Lapalus : « La Section nationale des fermiers et métayers (SNFM) est à la base de la création de la FNSEA. Lorsqu’elle a vu le jour, tous les agriculteurs étaient fermiers. Ils n’avaient pas cette sécurité et changeaient de ferme tous les deux-trois ans, voire tous les ans, parce qu’il n’y avait pas de stabilité. C’est à partir de là qu’est apparu le syndicalisme, avec cette idée de s’unir pour faire changer les choses et d’être enfin reconnus comme une profession à part entière qui a besoin d’un outil de travail stable. La FNSEA s’est donc créée avec les grandes lois d’orientation, en gardant ses spécificités : la SNFM fait désormais partie de ses quatre sections sociales, avec les propriétaires-bailleurs, les agricultrices et les anciens exploitants. Finalement, dès lors que les exploitations ont été sécurisées grâce au statut du fermage, d’autres problématiques et sujets sont arrivés, faisant passer la section au second plan des préoccupations. Les priorités ont ainsi changé. Pour autant, aujourd’hui, la SNFM détient systématiquement quatre postes au conseil d’administration de la FNSEA, j’occupe d’ailleurs l’un d’entre eux. Aussi, la SNFM est la seule section qui est transversale, qui concerne toutes les productions et tous les agriculteurs. C’est pour cela qu’elle est très complexe et lourde à porter. On doit défendre aussi bien le fermier en haute montagne, qui doit composer avec les loisirs et les pistes de skis, que le fermier contigu à la Belgique, qui a les contraintes des investisseurs belges qui viennent accaparer des terres pour faire des pommes de terre en Hauts-de-France. »

Quelles en sont les priorités ?

B.L. : « Les responsables fermiers départementaux doivent faire la promotion du statut du fermage au sein des établissements de formations agricoles. Ils ont également pour objectif d’intégrer, lors du Plan de professionnalisation personnalisé (PPP), au minimum deux heures d’intervention pour expliquer le statut et la manière dont les jeunes doivent s’y prendre avant de s’installer. Ce qui amène au point suivant : le besoin de le simplifier. Finalement, lorsque l’on cumule ces lacunes, à savoir un statut du fermage compliqué et méconnu, on se retrouve avec des jeunes qui signent n’importe quoi dès leur installation. Par exemple, il existe le bail de neuf ans, renouvelable, celui de 18 ans, plus sécurisé, et le bail de 25 ans. Or, après 25 ans, on est encore loin de la retraite et ce bail n’est pas renouvelable. Le propriétaire peut légalement nous mettre dehors. Cela pointe du doigt un danger dont les jeunes n’ont pas conscience. Certains exploitent leurs terres alors qu’ils ne les ont pas sécurisées par un bail. Dès qu’elles sont vendues, ces mêmes agriculteurs appellent la Safer, croyant être prioritaires sur le simple motif d’exploiter ces terres depuis dix ans, par exemple. Mais puisqu’aucun bail rural n’a été signé et donc sans preuve de paiement, ils ne sont pas considérés comme prioritaires et ne peuvent alors pas faire valoir leur droit de préemption comme fermiers. » 

Y a-t-il des spécificités d’un département à l’autre ?

B.L. : Aussi, je tiens à préciser qu’il y a des spécificités aux quatre coins de la France. Il y a des pratiques ancestrales dans d’autres régions que l’on ne voudrait pas voir arriver chez nous, tel le travail à façon intégral ou la sous-location, pratiques totalement illégales aux yeux de la loi. Mais elles sont courantes au Nord de la France (région parisienne, Nord et Grand-Est) et viennent encore plus compliquer l’installation des Jeunes agriculteurs (JA). À l’inverse, il existe aussi des pratiques courantes dans notre région et méconnues par d’autres, comme le bail verbal (très répandu en ex-Rhône-Alpes). Il faut donc absolument essayer de garder, via les commissions consultatives des baux ruraux, les spécificités locales pour répondre à quelques problématiques. Par contre, il faut uniformiser le cadre juridique, avec un seul statut du fermage et des baux équivalents sur tout le territoire. »

Le statut du fermage a évolué, ses priorités aussi ?

B.L. : « Bien sûr ! Après-guerre, le peuple français avait pour préoccupation première de se nourrir. Les agriculteurs devant produire, les propriétaires n’hésitaient pas à mettre leurs terres à leur disposition. Aujourd’hui, comme les ventres n’ont plus faim, certains nouveaux profils de propriétaires ne ressentent plus cet intérêt et vont prioriser, au contraire, la rétention foncière, soit pour un usage de loisir, soit pour spéculer. Il y a tellement d’attractivité sur le foncier agricole que le faire exploiter par les agriculteurs sous le statut du fermage est le dernier de leur souci. Nous, on insiste alors beaucoup pour redonner de l’attractivité dans la mise à bail, en laissant plus de sécurité pour le fermier et davantage de liberté pour le bailleur afin qu’il ne se sente pas contraint par la signature d’un bail. Nous avons aussi des partenaires, que sont les notaires, qui doivent jouer le jeu. On sait qu’ils sont les premiers interlocuteurs auquel le client demandera un avis. Malheureusement, aujourd’hui, de moins en moins de notaires sont spécialisés en droit rural et connaissent le statut du fermage. »

Comment êtes-vous devenu président de la SNFM ? 

B.L. : « Un peu par hasard (rires) ! Depuis mon engagement syndical – que j’avais débuté au sein de Jeunes agriculteurs (JA) –, je me suis toujours occupé des questions foncières. Après deux mandats comme secrétaire général à la FDSEA, je me suis vu proposer de monter au conseil d’administration de la SNFM à Paris en remplacement d’un administrateur. Avoir également été président de la section départementale de 2011 à 2014, mais aussi d’avoir une exploitation à 80 % en fermage y ont également contribué. Après avoir été administrateur à Paris durant trois ans, leur candidat à la présidence nationale, Luc Roland, m’a demandé de devenir son secrétaire général. Celui-ci est décédé en cours de mandat, j’ai donc pris sa place depuis 2019. On ne se connaissait que très peu et tout nous opposait, mais nous étions complémentaires : il était céréalier au nord du bassin méditerranéen et je suis éleveur du berceau des races à viande. Grâce à la dynamique qu’il a voulu insuffler, nous avons souhaité révolutionner le statut du fermage, partant d’une feuille blanche pour le reconstruire, en tenant compte des enjeux d’aujourd’hui, très différents par rapport à ceux lors de la création de la SNFM. Les attentes sociétales ont bien évolué, le profil des agriculteurs n’est plus le même non plus. Avant, il était fréquent qu’un propriétaire ait trois ou quatre fermiers. Aujourd’hui, c’est l’inverse, un fermier a trois ou quatre propriétaires. Tout le monde a voulu garder, de façon patrimoniale, son petit lopin de terre hérité du grand-père. Et donc à chaque fois, on divise, créant ainsi de plus en plus de mitage en termes de propriété. Cette évolution complique les choses, c’est plus dur à gérer. On construit une carrière sur des terrains en location, les propriétaires nous font confiance. Sauf que dans la Loire, dans une situation de petites parcelles, il n’est pas rare d’avoir des dizaines de propriétaires. Dans ces cas-là, on s’éloigne, il n’y a plus de contact direct, cela complique les relations et la conclusion du bail rural. »

Quels sont les devoirs d’un président de la SNFM ? 

B.L. : « On en a beaucoup ! Déjà, on est élu par des administrateurs qui nous ont fait confiance et on se doit de tous les représenter. On ne prend pas un poste de président national pour défendre sa cause locale. Ensuite, lorsqu’on est soutenu par son conseil et que cela nous donne une certaine crédibilité, on doit se servir de cette force pour être fer de lance envers les politiques, y compris au sein de notre structure FNSEA. Le président de section doit aussi rappeler que tous les agriculteurs ne sont pas propriétaires et qu’au moins 80 % des surfaces sont en location. Il doit également être en mesure de prendre des décisions dans l’urgence. Son rôle est d’essayer, parfois dans la précipitation, de répondre rapidement en essayant de satisfaire le plus grand nombre. Le président doit par ailleurs savoir se projeter, et pas seulement se limiter aux constats. Il doit proposer des perspectives aux fermiers en étant force de proposition. Enfin, il doit être capable, en interne avec la FNSEA, de tirer la sonnette d’alarme sur certains sujets. »

Comment la SNFM entretient-elle son réseau ?

B.L. : « Il y a trois moments-clés dans l’année pour aller à la rencontre du réseau : le Congrès, la Journée nationale des présidents de sections de départements et la tournée régionale. La Journée nationale – la dernière a eu lieu le 27 septembre – est l’occasion de faire remonter les problématiques régionales nouvelles et de s’échanger des informations. On en profite aussi, lors de ces journées, pour faire venir un ou plusieurs intervenants sur des thématiques actuelles. La tournée régionale, quant à elle, s’étend sur deux mois. Le président national et son secrétaire général parcourent chaque région de France à la rencontre des fermiers. Chaque département est censé être représenté et on parle des problématiques locales. Cela nous permet, avec tous ces éléments, de construire notre rapport d’orientation et nos travaux en fonction de la demande du réseau. »

Quel bilan dressez-vous de votre mandat ?

B.L. : « Précisons qu’un mandat dure trois ans et est renouvelable. Le mien s’achèvera durant le congrès de la SNFM. Je ne serai pas candidat à ma propre succession, je l’ai annoncé et ce, pour plusieurs raisons : c’est épuisant, on a besoin de sang neuf et je souhaite surtout éviter de faire le mandat de trop. Aujourd’hui, je suis très satisfait du travail interne qui a été conduit. Le rapport d’orientation en est la preuve. Le travail accompli a trouvé un vrai consensus national. Mais je garde aussi une certaine frustration, car maintenant que ce travail a été validé, y compris par la FNSEA, il y avait jusque-là un manque de lobby pour essayer de le concrétiser dans la voie législative. Depuis peu, on sait qu’il est inscrit dans le rapport d’orientation de la FNSEA et que nos travaux seront portés dans le pacte de la loi d’orientation agricole. Il y a donc cette légère inquiétude qu’avec le changement de présidence, les avancées des travaux soient enterrées. Je sens toutefois un conseil d’administration qui souhaite véritablement poursuivre ce travail. A la fin de mon mandat, je ne souhaite pas non plus rester dans le conseil d’administration. »

Pour quelles raisons ? 

B.L. : « Aujourd’hui, j’ai deux postes importants au sein de la FNSEA : la présidence des fermiers, qui s’arrête, et la présidence de la commission Gestion des territoires, qui parle de toute la problématique foncière en général (droit de l’urbanisme, gestion des carrières et chemins ruraux). C’est aussi par cette commission que les travaux des fermiers peuvent avancer. Il est donc préférable pour un président en fin de mandat de se retirer totalement du conseil d’administration, car rester quand on a été président peut créer un malaise avec ses successeurs. Par contre, si j’ai l’opportunité de rester sur le dossier foncier à la FNSEA, cela me plairait pour pouvoir aider mes successeurs à porter leurs travaux, mais aussi pour travailler sur tous nos autres outils de régulation (Safer, contrôle des structures, etc.) »

Propos recueillis par Axel Poulain