Série de l'été 2023 : ces savoir-faire ancestraux
Souffleur de verre, artisan du cristal
Depuis plus de 30 ans, Pierre Marion gère l’atelier de souffleur de verre à Saint-Galmier. Un métier dont les origines remontent à l’Antiquité, si ce n’est encore plus loin. Rencontre avec un personnage dont le savoir-faire captive les visiteurs.
En entrant dans l’atelier situé avenue du 19-Mars-1962 à Saint-Galmier une heure avant l’ouverture au public, c’est une véritable fournaise qui nous accueille. Pierre Marion, son gérant, s’y est parfaitement accommodé depuis sa prise de fonction dans ces locaux en 1989. Originaire d’Annecy, ce n’était pourtant pas une vocation pour lui, à ses débuts : « Lorsque j’avais 17-18 ans, je ne savais pas trop ce que je voulais faire de ma vie, comme beaucoup de personnes de mon âge. »
Après l’obtention de son baccalauréat, il s’oriente vers la médecine et parvient, au bout de la deuxième tentative d’un concours, à devenir kinésithérapeute. Après un an d’exercice, notre homme souhaite se réorienter. Après avoir fait l’armée dans les chasseurs alpins, un de ses collègues lui fait part de son émerveillement pour un souffleur de verre basé dans la Drôme. Ni une ni deux, un déclic s’opère dans l’esprit de Pierre Marion, ses souvenirs refaisant surface, notamment ses nombreux voyages faits à Murano (en Italie), sa grand-mère habitant à proximité de Venise.
Il effectue alors une année dans un atelier dans le sud de la France, puis s’envole en direction de l’Angleterre, dans les West Midlands, pour suivre une formation dans un territoire réputé pour son nombre de cristalleries. Le Haut-Savoyard se lie d’amitié avec un couple d’Américains, qu’il invite en France pour visiter le pays et les verreries, puis se fait inviter à son tour aux États-Unis. Il saisit alors l’opportunité et parvient à être embauché dans l’État de New-York durant quatre ans, puis œuvre dans d’autres ateliers (Colorado, Californie, Floride, Seattle, etc.).
Sept ans plus tard, il fait le choix de revenir en France pour travailler à son compte : « Un ami m’a parlé de la volonté de Saint-Galmier de créer un atelier dédié au soufflage de verre. Je me suis dit que, plutôt que d’investir tout par moi-même, il me fallait saisir cette opportunité. J’ai eu un entretien avec la mairie et avec ceux qui étaient au cœur du projet, puis j’ai été retenu. C’est un local qui leur appartient, je suis gérant de l’atelier et je paye un loyer. En revanche, je décide de la production. »
Le soufflage de cristal à la canne
Le métier de souffleur de verre, qui repose sur l’artisanat, consiste en la réalisation de diverses œuvres ou objets à partir de verre ou de cristal. Pierre Marion a fait le choix de travailler exclusivement le second. S’il existe différentes techniques, il s’est orienté vers la canne et non le chalumeau : « Travailler avec la canne signifie avoir plus de matière, mais aussi plus de possibilités dans la création et davantage de couleurs à utiliser. J’ai eu l’occasion de m’essayer au travail avec le chalumeau, mais cela ne me plaisait pas vraiment. » Par ailleurs, il explique que souffler à la canne consiste à « insuffler notre propre air lorsque l’on fait le creux dans une pièce, un peu comme dans un ballon de baudruche ».
Au sein du premier atelier dans lequel il a pu engranger de l’expérience (dans le sud de la France), notre homme était principalement attelé à la production d’objets relatifs aux arts de la table, à l’image des pichets, verres, assiettes, cendriers, photophores, etc. : « Cela a beau être de la production, les arts de la table permettent de se familiariser avec le verre. Mais pour moi, le souffleur de verre est plutôt dans la création. Il faut passer par là pour bien maitriser les techniques de façonnage, ce qui facilite la suite et offre beaucoup plus de possibilités. »
Ainsi, pour concevoir du verre, la matière première essentielle est le sable. Pour le faire fondre, il faut le mélanger à de la soude et de la chaux, tandis que, pour le cristal, il doit l’être avec de l’oxyde de plomb, diminuant ainsi la température de fusion et rendant la matière plus malléable : « Le verre et le cristal sont deux matières qui se soufflent au bout d’une canne et ont sensiblement la même consistance. Ils passent de l’état liquide à pâteux (ce qui permet ainsi de les façonner, NDLR) à l’état solide enfin. »
Intéressé par le cristal, Pierre Marion a pourtant souhaité ne pas se charger de sa composition, poudreuse. Un choix qu’il explique ainsi : « Ce sont des matières volatiles, pas bonnes à respirer. Et puis, je préfère acheter du cristal dans des cristalleries. Lorsqu’elles vendent pour des maisons prestigieuses, elles doivent souvent se débarrasser de pièces dès qu’il existe ne serait-ce qu’un petit défaut. » Toutefois, cela n’empêche guère l’artisan de maitriser parfaitement la formule de composition du cristal : « Comme c’est de la poudre, le mélange sable/oxyde de plomb se fait comme dans une bétonnière qui tourne. Il faut qu’il y ait au minimum 24 % d’oxyde de plomb pour que la matière ait l’appellation de cristal. Si on en met plus, il sera plus tendre pour le tailler, mais il craindra davantage la rayure. »
S’il récupère les pièces défectueuses ou invendues, ce professionnel doit souvent faire du tri parmi ces restes : « L’inconvénient, c’est qu’il y a parfois des couleurs avec, donc je suis obligé de faire une sélection. Dans ma matière première, je ne mets que le cristal transparent pour que cela offre toutes les possibilités possibles lorsque je colore les pièces. » Cette étape est d’ailleurs très importante à ses yeux, le rendu final transparent lui rappelant des objets bien trop classiques.
Légende de la découverte du verre
D’après un mythe raconté par Pline l’Ancien, le premier verre aurait été formé accidentellement par des marchands phéniciens, environ 2000 ans avant J.-C.. Souhaitant faire un feu, ils auraient utilisé des briques, dont l’apport de sodium couplé à la silice du sable et à la chaleur du feu durant toute la nuit aurait permis la formation de verre. Toutefois, il ne s’agit que d’une légende : la chaleur d’un feu de camp semblerait n’être guère suffisante pour produire un verre ainsi.
Préparation et création
Dans son atelier, Pierre Marion dispose de trois fours, expliquant ainsi la chaleur étouffante : le four de fusion et le four de réchauffe, tous deux fonctionnant au gaz ; le four de recuisson, électrique quant à lui. Dans les deux premiers – obtenir la matière première pour l’un, ajouter la couleur et travailler la pièce pour l’autre –, les températures oscillent entre 1 100 et 1 200 degrés, tandis que l’on avoisine les 450 degrés dans le troisième, destiné à recuire les pièces. « Mon four de fusion fonctionne sept mois dans l’année, d’avril à octobre. Lorsque je l’allume, il faut huit jours pour le monter en température (jusqu’à 1 480 degrés). Il faut le maintenir 8 heures ainsi, avant de mettre le cristal et ensuite baisser. » Lorsque le cristal doit être fondu, la température passe à 1 300 degrés ; quand on souhaite le travailler, le four doit être maintenu entre 1 100 et 1 150 degrés. « C’est une température idéale pour sortir la bonne quantité de cristal, il n’est pas trop liquide pour en prendre suffisamment. »
Pour réaliser une pièce colorée, la couleur doit être travaillée et placée au bout de la canne avant de mettre le cristal. Celle-ci est chauffée avec le four de réchauffage, lequel chauffe assez rapidement (en 20 minutes) et est actif uniquement durant le temps de travail. La couleur est ensuite recouverte de cristal transparent dans le four de fusion. « On fait un tour complet au moins, pour que le cristal soit bien réparti tout autour de la couleur, c’est comme un pot de miel. On appelle cela cueillir le cristal. »
L’artisan se rend alors sur son banc de travail pour le façonner afin qu’il soit bien centré et avec une forme légèrement arrondie. Du cristal peut ensuite être ajouté à plusieurs reprises afin d’avoir plus de matière pour concevoir un objet plus conséquent. « Pour façonner, on utilise la gravité, autrement dit l’attraction terrestre. Donc si on ne tourne pas, le cristal va couler. » Au terme de multiples autres manipulations de peaufinage, la pièce doit reposer plusieurs heures pour refroidir, puis être exposée dans son atelier qui fait par ailleurs office de musée et de boutique. « Ce qui compte beaucoup pour moi, c’est le contact avec le public. Beaucoup d’écoles venaient au départ, dans les années 1990. Et maintenant, ces enfants reviennent avec leur famille, parfois même avec leurs propres enfants, parce qu’ils s’en souviennent. » Pierre Marion propose des démonstrations et visites sept mois par an, soit le temps pour lequel son four de fusion est fonctionnel.
Axel Poulain
Le métier aujourd’hui
« Aujourd’hui, on compte beaucoup moins d’ouvriers dans les cristalleries car beaucoup ont fermé. À titre d’exemple, j’en suis à la troisième cristallerie où je me sers, les deux précédentes ont fermé », explique Pierre Marion. En revanche, celui-ci se montre assez confiant pour que ce savoir-faire perdure : « Il ne se perd pas. Il y a encore quelques lycées technique, centres de formation et des écoles, en France comme à l’étranger. Je reçois aussi de temps en temps des lettres de jeunes qui cherchent un stage. Mais comme le métier est très long à apprendre, on est peu nombreux en France. » »