Recettes de famille (1/4) : Nigay
Ils sont tombés dans la marmite de caramel quand ils étaient petits
Innovation, expertise, qualité, partenariats de proximité, pérennité, cohésion, environnement, exigence ou encore passion sont autant de mots qui caractérisent l’entreprise forézienne Nigay, experte des caramels. Sans aucun doute, le terme « famille » les relie tous.
Près de 500 références de caramels dans les domaines des sodas, des glaces, des produits laitiers, des chocolats, des bières, des biscuits, des soupes, des sauces et même de l’alimentation pour animaux, voici ce qu’affiche l’entreprise Nigay, basée à Feurs depuis près de 170 ans. Derrière ces produits exportés dans le monde entier, pour des marques très connues, se cachent plusieurs générations de la famille Nigay, dont les membres ont porté et portent haut et fort des valeurs comme la passion, la tradition, l’innovation, l’exigence et l’éthique.
De la féculerie à la caramélerie
La 5e (Henri et Yves) et la 6e génération (Agnès, Vincent et Thomas) sont actuellement les dirigeants de la caramélerie forézienne. L’entreprise était à l’origine une féculerie, qui se fournissait localement en pommes de terre. Elle a été créée par Jean-Marie Nigay et Antoine Ray en 1855 à Mornand-en-Forez, sur les bords du Vizezy. « Notre arrière-arrière-grand-père, originaire de Saône-et-Loire, avait aussi acheté une propriété sur cette commune pour approvisionner son usine en matière première », rapporte Yves. L’eau a très vite manqué pour faire fonctionner la féculerie. Apprenant qu’une parcelle se libérait à Feurs, à proximité de la voie ferrée, Jean-Marie Nigay a délocalisé l’établissement.
En 1910, Joseph Nigay et Georges Guichard ont installé une glucoserie à côté de la féculerie. Seule une petite partie de l’amidon produit était transformé en glucose. Jean Nigay est entré dans la société en 1921. Avec son frère Félix, il a investi dans du matériel et a transformé la féculerie, qui est devenue l’une des plus modernes de France. La double activité a perduré jusqu’en 1969.
A cette époque, l’entreprise était sur le déclin. Pour éviter qu’elle ne périclite, François Nigay s’est lancé dans le négoce de sirop de glucose. Il arrivait en wagons, était reconditionné puis revendu. L’atelier historique de production était lui à l’arrêt. L’homme, arrivé dans la société en 1948, a toujours cherché à développer une nouvelle activité. Grâce à ses relations, en 1973, il a finalement l’opportunité de racheter, avec un cousin de son père (Jacques Nigay), la société Mombron et Bon, producteur de caramel dans la région parisienne, mise en vente par l’héritière, Mademoiselle Bon. L’entreprise familiale Nigay s’est ainsi lancée dans la fabrication de caramels aromatiques et colorants pour l’industrie agroalimentaire et les artisans. Une reconversion dans la lignée de ce que faisait l’usine auparavant puisque le sirop de glucose sert à confectionner le caramel.
La 5e génération
François Nigay a eu quatre enfants avec son épouse Anne Brochand d’Auferville : Claire, Henri, Yves et Michel. Ils ont passé leur jeunesse au cœur de l’entreprise. Henri et Yves se souviennent avoir vu l’usine se construire sous leurs yeux. « Chaque week-end, elle était pour nous une aire de jeux, raconte l’aîné. Nous y avons fait des stages l’été et nous avons orienté nos études en conséquence. »
Henri a intégré la société en 1984. La chimie a toujours été sa passion. Il en a fait son métier. Docteur es Sciences en chimie organique spécialisée, il a réalisé une thèse sur la photoxydation de l’hydroxyméthyfurfural, une molécule spécifique du caramel. Yves s’est intéressé très jeune au développement de l’entreprise, qu’il a intégrée en 1985 après des études en biochimie et de gestion. Les deux frères avouent que « travailler avec notre père a été naturel. Il nous a vraiment facilité la tâche et fait confiance. Il nous a toujours encouragés et soutenus. »
L’entreprise est rapidement devenue leader du caramel en France. Ses dirigeants ont dû passer un cap et se lancer sur les marchés internationaux. Le chiffre d’affaires à l’export est passé de 2 % dans les années 1980 à 73 % aujourd’hui. « Il nous a fallu faire nos preuves auprès des grandes marques tout en veillant à pratiquer des prix intéressants », assure Yves.
Pour servir ces marchés, le site de Feurs a été métamorphosé en plusieurs phases. Par exemple, entre 1989 et 1992, un chantier a consisté à réhabiliter un bâtiment désaffecté. « Nous l’avons vidé et gardé uniquement une partie de l’ossature pour reconstruire les étages de la nouvelle installation, se souvient Henri. Ce n’était pas facile de faire du neuf dans du vieux. » En 2019, la famille a investi dans une usine à Nesle, dans les Hauts-de-France, pour poursuivre sa croissance.
Caramels : des recettes multiples
La famille Nigay se revendique être « l’experte des caramels sous toutes ses formes : les essentiels et les innovants ». Aussi, elle recense à son catalogue : des caramels aromatiques pour napper, aromatiser, édulcorer, dorer ou jouer le rôle d’exhausteur de goût ; des caramels colorants pour colorer, foncer ou renforcer la couleur brune des aliments ; des burnt sugars, pour allier goût et couleur (bières, boissons gazeuses, pains spéciaux, sauces…) ; des caramels spécialités pour apporter de la gourmandise aux produits grâce à une saveur, une texture ou une typicité
Les deux fers de lance de l’entreprise Nigay sont la capacité à développer de nouveaux produits et à prospérer sur le plan commercial, en investissant dans l’innovation et dans la qualité. L’entreprise Nigay, pionnière dans le développement durable, vise à offrir à ses clients des caramels de haute qualité, sains et gourmands.
La 6e génération
Un peu avant, en 2012, une nouvelle étape significative dans la transmission a été franchie puisque les six petits-enfants de François Nigay sont entrés au capital de l’entreprise familiale. Plusieurs d’entre eux ont ensuite intégré la société. A commencer par Agnès, fille de Yves, entrée au service finances en 2014 après des études en contrôle de gestion. Vincent, son frère, a fait des études de commerce international avant d’intégrer la société en 2015 au service export. Leur cousin, Thomas, fils de Michel, a grandi loin de Feurs mais a suivi l’évolution de l’entreprise. Il a étudié dans le domaine de l’innovation agroalimentaire et intégré l’entreprise en 2019 au sein du service recherche et développement. En décembre 2021, le capital a été recentré sur les actionnaires actifs, que sont Agnès, Vincent et Thomas.
Ces derniers disent avoir pu se former dans leur domaine de prédilection sans être obligés de rejoindre l’affaire familiale. Le hasard (ou pas…) a fait que chacun a su trouver sa place et apporter sa pierre à l’édifice. « Je n’ai jamais voulu forcer mes enfants à travailler ici, par contre je les ais orientés, nuance Yves. Je leur ai aussi expliqué la chance qu’ils avaient de pouvoir hériter de l’entreprise. » Agnès et son frère ont grandi dans la maison familiale, au cœur de l’usine. « Je savais que je serais amenée à travailler ici mais j’estime n’avoir jamais été contrainte. Si je suis là, c’est par plaisir. »
Thomas a quant à lui grandi dans la région lyonnaise. « Mon oncle Henri m’a incité à intégrer l’entreprise. Avec des bases de chimie et un intérêt pour l’innovation, je me suis concentré sur la R & D. » Cette activité permet de répondre aux demandes les plus spécifiques des clients.
L’équipe dirigeante est pluridisciplinaire. Pour Yves et Henri, les choses sont claires : « C’est désormais à la nouvelle génération de piloter les investissements. » Ils ne perdent pas de vue que « même si nous sommes une entreprise familiale, elle doit être rentable et investir pour l’avenir. Nous oeuvrons pour la pérenniser pour les prochaines générations, pas uniquement la suivante, mais les suivantes. Nous estimons que c’est une chance de travailler en famille. » Cette spécificité est fièrement revendiquée.
Les Nigay ont toujours été attachés à l’ancrage et aux partenariats locaux. Ils n’hésitent pas à co-innover : cola ColAdoré pour la brasserie La Germanoise à Saint-Germain-Laval, Carabrioche aux blés 100 % local de la Minoterie moderne de Cuzieu ou encore Les Pépites du Forez et les Caramélines avec le chocolatier forézien Patrick Bataillon. « C’est bien la preuve que l’industrie n’est pas opposée l’artisanat », assure Henri. Les dirigeants défendent aussi « les valeurs de l’entreprise familiale où il fait bon vivre » et cherchent à assurer une bonne cohésion des équipes en insufflant le bien-être (en apportant un maximum de « caraméliorations »), en maintenant la convivialité et en jouant la transparence.
Lucie Grolleau Frécon
1855-2024 : six générations d’entrepreneurs
1855 : création de la féculerie par Jean-Marie Nigay (1834-1891), arrière-arrière-grand-père d’Henri et Yves), à Mornand-en-Forez, puis à Feurs.
1910 : adjonction de la glucoserie à la féculerie par Joseph Nigay (1870-1921), fils de Jean-Marie.
1921 : décès de Joseph Nigay. Ses fils Jean (1895-1969) et Félix (1901-1974) prennent la suite.
1948 : François Nigay (1926-2004, fils de Jean) arrive dans l’entreprise familiale.
1969 à 1973 : l’activité de négoce de sirop de glucose remplace celle de féculerie et de glucoserie.
1973 : reconversion de l’entreprise dans la fabrication de caramel à la suite du rachat de la société Monbron et Bon.
1984 : arrivée d’Henri Nigay (né en 1957) dans la société. Il est désormais président et directeur technique.
1985 : arrivée de son frère Yves (né en 1961). Il est désormais directeur général et directeur commercial.
2012 : les six petits-enfants de François entrent au capital
2014 : arrivée d’Agnès (née en 1991), fille de Yves. Elle est responsable du contrôle de gestion.
2015 : arrivée de Vincent (né en 1992), fils de Yves. Il est directeur commercial adjoint.
2019 : arrivée de Thomas (né en 1995), le fils de Michel (frère d’Henri et d’Yves, qui ont aussi une sœur, Claire). Il est chef de projet R et D.
2019 : ouverture du deuxième site à Nesle dans les Hauts-de-France.
2021 : le capital de l’entreprise est recentré sur les actionnaires actifs, que sont Agnès, Vincent et Thomas.