Le 6 décembre, la présidente de la Commission européenne a signé l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. La réaction de la profession agricole ne s’est pas fait attendre.
C’est tout sourire et entourée des quatre présidents brésilien (Luis Lula da Silva), argentin (Javier Milei), uruguayen (Luis Alberto Lacalle Pou) et paraguayen (Santiago Peña) qu’Ursula von der Leyen a signé, le 6 décembre à Montevideo (Uruguay), l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. « Cet accord est une victoire pour l’Europe. 30 000 petites entreprises européennes exportent déjà vers le Mercosur. L’UE-Mercosur reflète nos valeurs et notre engagement en faveur de l’action climatique. Et nos normes sanitaires et alimentaires restent intouchables (…) C’est le début d’une nouvelle histoire », a indiqué Ursula von der Leyen sur son compte X.
« Coup de poignard »
La réaction des syndicats a été quasiment immédiate : « Von der Leyen trahit les agriculteurs européens », ont accusé la FNSEA et JA dans un communiqué commun. « C’est une provocation (et) un déni de démocratie alors que la quasi-unanimité de nos parlementaires français se sont exprimés contre cet accord », ajoute les deux organisations syndicales. C’est une « position qui va à l’encontre de la marche de l’Europe et de ses intérêts à long terme », a posté sur son compte X, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau. « La communauté agricole de l'UE refuse de payer la facture », a de son côté dénoncé le Copa-Cogeca qui exprime sa « ferme opposition à cet accord dépassé et problématique ». Le syndicat européen critique sévèrement le précédent mandat d’Ursula von der Leyen d’avoir multiplié « les contraintes et les réglementations pour nos producteurs (…) aujourd'hui, au début de son second mandat, elle donne la priorité à cet accord inéquitable ».
Sans surprise, la Fédération nationale bovine (FNB) est également très remontée contre cet accord, parlant de « coup de poignard de Von der Leyen ». Les éleveurs s’attendent à des « impacts désastreux ».
Dans un communiqué commun, quatre organisations (Intercéréales, Interbev, AIBS (betteraves et sucre) et Anvol (volailles)) considèrent que cet accord « constitue un affront grave à la souveraineté nationale de la France, la Pologne, l’Autriche, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Italie qui ont clairement exprimé leur opposition » ainsi qu’une « attaque sans précédent envers l’agriculture française et européenne, et les filières de production qu’elles irriguent. ». Elles regrettent les conséquences économiques et sanitaires que ce traité pourrait avoir et appellent « à une mobilisation immédiate en faisant valoir le droit de veto lors du Conseil de l’Union européenne ».
Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, a aussi dénoncé cette signature : « Ce n’est pas acceptable de voir le jeu de la concurrence déloyale s’amplifier », a-t-il déclaré sur France Inter, expliquant que « produire une tonne de volaille coûte 50 % moins cher au Brésil qu’en Europe, où les standards de production sont bien plus exigeants ».
Les politiques très remontés contre l’accord
L’annonce de la signature du traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur est tombée lors de l’assemblée générale d’Eurea à Montrond-les-Bains en ce vendredi 6 décembre (article à retrouver dans le journal de la semaine prochaine). Elle a été faite quasiment en direct par le député ligérien Jean-Pierre Taite lorsqu’il a pris la parole en fin de matinée. Pour lui, la présidente de l’Union européenne a profité de la faiblesse de la France pour s’engager dans cet accord. Il faisait allusion à la motion de censure votée mercredi soir à l’Assemblée nationale. Faisant part de son « sentiment d’écœurement », il lâchait : « Tout est tombé en une heure. Les deux grands ennemis sont devenus complices et ont tout fait écrouler ».
Laurent Duplomb, sénateur de Haute-Loire, assistait également à l’assemblée générale d’Eurea. Il revenait sur son travail conduit pour proposer une loi sur le choc de compétitivité et ne cachait pas son désarroi face à cette situation inédite. Il incitait les élus, les responsables professionnels et les agriculteurs à « ne rien lâcher, à continuer à se battre. »
Depuis le milieu de journée, à l’image de ces deux élus, nombreux sont les partis politiques à s’offusquer de la signature de cet accord. Tous dénoncent (même si certains y ont participé), la chute du gouvernement Barnier qui a provoqué une brèche dans laquelle la présidente de la Commission s’est engouffrée. Et cela même si la France avec la Pologne et l’Italie se sont opposés à ce traité. La députée européenne et agricultrice, Céline Imart, a dénoncé la « triple trahison d’Ursula von der Leyen vis-à-vis des agriculteurs européens, des Etats membres et des présupposés bénéfices économiques ». L’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, s’inquiète pour « nos agriculteurs (qui) risquent (…) de payer le prix de la chute du gouvernement ». Pour Marine Le Pen, Ursula von der Leyen « s’essuie les pieds sur le vote souverain des députés, impose son diktat ». La ministre (démissionnaire) du Commerce extérieur, Sophie Primas, a indiqué à l’Agence France-Presse que « la Commission prend ses responsabilités de négociatrice, mais cela n’engage qu’elle ».
Pression de la France
Les syndicats agricoles entendent bien ne pas en rester là. « La bataille continue. Nous ne nous avouons pas vaincus ! Nous engagerons tous les moyens au niveau européen pour que cet accord ne soit pas ratifié, ni par le Conseil, ni par le Parlement européen, ni par les Parlements nationaux », ont souligné la FNSEA et JA. Le traité UE-Mercosur devra être traduit dans les langues des Vingt-Sept. Il devra aussi passer au « tamis juridique » et être ratifié par le Conseil et le Parlement européen et éventuellement par les Parlements nationaux. Cependant, si la Commission européenne décide de scinder le texte en deux parties, la ratification par les parlements des 27 États membres ne sera pas nécessaire.
Lucie Grolleau Frécon et Christophe Soulard
Ce que définit l’accord
Sur le volet agricole, cet accord de libre-échange fixe pour l’UE des quotas additionnels d’importations à droits de douane réduits, dont 99 000 tonnes en viande bovine et 180 000 tonnes de viande de volailles. Ils viennent s’ajouter aux 194 000 tonnes de viande bovine et aux 324 700 tec de volailles importées en 2023. Ces importations concernent surtout des morceaux de choix, plébiscités par les consommateurs français et européens : la bavette d’aloyau et le filet de poulet.
L’accord prévoit aussi la fin des droits de douanes sur 180 000 tonnes de sucre en provenance des pays du Mercosur et des concessions progressives pour l’éthanol, qui permettraient l’importation de 5,7 millions d’hectolitres sans droits de douanes à utilisation exclusivement industrielle et en plus 200 000 tonnes d’éthanol à droits réduits.
La France importe à elle seule près de deux milliards d’euros (Md€ - 1,92 Md€) de produits agricoles et agroalimentaires (2,6 % de ses importations agricoles) du Mercosur. Surtout les agriculteurs français dénoncent les conditions de production de ces produits qui ne répondent pas aux standards européens. Les normes de travail et de sécurité moins strictes permettent aux pays du Mercosur de produire à des coûts inférieurs, instaurant de fait une concurrence déloyale. Cependant toutes les filières agricoles ne seraient pas forcément perdantes.