Coup de pression sur la distribution pour faire respecter la loi Egalim 2
Durant trois jours et deux nuits, du 23 au 25 février, la FRSEA et JA Auvergne-Rhône-Alpes ont bloqué la centrale d’achat (SCA Centre) de E. Leclerc à Yzeure (Allier) et la plateforme logistique de Carrefour à Saint-Vulbas (Ain).

Centre) de E. Leclerc à Yzeure (Allier). Aucun transporteur n’a pu entrer ou sortir du site pendant près de 48 h. ©S Joly
Mercredi 23 février, vers 17 heures, à l’appel de la FRSEA et de JA Auvergne-Rhône-Alpes, les manifestants se sont retrouvés devant la centrale d’achats d’E.Leclerc à Yzeure dans l’Allier, avec la ferme volonté de s’inscrire dans la durée. Dans l’Ain, c’est la plateforme logistique de Carrefour à Saint-Vulbas qui a été la cible des quelque trois-cents agriculteurs venus de l’Ain, du Rhône, de la Loire, de la Drôme, de l’Isère, de Savoie et de Haute-Savoie.
Deux choix stratégiques pour les syndicalistes, déterminés à tenir le temps qu’il faudra pour exercer une pression suffisante sur l’ensemble des distributeurs et industriels de l’agroalimentaire afin d’obtenir des garanties quant au respect de la loi Egalim 2, en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Celle-ci a pour but d’améliorer la rémunération des producteurs en rendant obligatoire une contractualisation sur les matières premières agricoles basée sur des coûts de production. Pour la FRSEA et JA Auvergne-Rhône-Alpes, « certains opérateurs ne jouent pas le jeu de la négociation et refusent de contractualiser à un prix rémunérateur pour les agriculteurs ».
Insuffler un nouveau modèle économique
Selon Adrien Bourlez, président de la FDSEA de l’Ain, avec cette loi Egalim 2, il s’agit avant tout « d’insuffler un nouveau modèle économique » car « celui de la Ferme française ne fonctionne plus aujourd’hui dans un contexte de mondialisation ». Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère, renchérit : « On n’est rien venu voler, on est venu réclamer ce qui nous est dû. Aujourd’hui ça coince, il va falloir répartir les marges. La loi Egalim ne résout pas tout, mais on a déjà cranté quelque chose ».
Même son de cloche pour Jean Pigagnol, président de la FDSEA du Cantal : « Nous avons un rôle important en tant que producteurs pour nous saisir de cette opportunité de négociation qui est une évidence depuis longtemps pour tous les autres secteurs d’activité. Personne aujourd’hui ne peut vendre un produit sans déterminer au préalable sa valeur. La loi nous réinscrit dans une démarche de négociation en marche avant. Il faut donc la saisir. Malheureusement, nous observons encore certains comportements problématiques lors des négociations, comme celui de la grande distribution qui refuse d’évoluer. Notre action permet d’apporter des éléments en faveur de ceux qui négocient. L’État doit aussi remplir son rôle en faisant appliquer la loi. »
Obtenir une juste rémunération des producteurs
« Aujourd’hui, nous sommes face à une hausse des charges à deux chiffres. Cette loi nous l’avons voulue, elle va changer beaucoup de choses sur nos exploitations et nous devons aller au bout », souligne Jean-Luc Perrin, secrétaire général de la FDSEA de la Loire. Pour l’heure, élus syndicaux et agriculteurs sont unanimes, « quasiment personne n’a réussi à contractualiser ».
Certains opérateurs (distributeurs, abatteurs, coopératives, GMS) semblent privilégier l’attentisme. « Les coopératives y vont avec une certaine timidité, elles ont peur et c’est compliqué », concède Serge Guier, secrétaire général de la FDSEA de la Drôme. Pour les agriculteurs présents, si cette loi n’est pas respectée, il en va de la survie des filières et de l’agriculture française.
Inciter les agriculteurs à contractualiser
Avec cette mobilisation, la FRSEA et JA veulent également envoyer un message fort aux agriculteurs qui seraient encore réticents à engager les négociations avec leur(s) acheteur(s) pour contractualiser. « C’est même le bon moment pour contractualiser », estiment les élus syndicaux. « Les cours sont bons et les cotations devraient prochainement atteindre le niveau des coûts de production. Le contexte est favorable », indique Laurent Goujat, éleveur charolais dans le Rhône et co-président de la section bovine de la FDSEA rhodanienne.
Parmi les départements présents à Saint-Vulbas, seule la Haute-Savoie semble épargnée par ces difficultés à contractualiser même si les deux syndicats locaux (JA et FDSEA) sont présents par solidarité. « Nous n’avons pas les mêmes enjeux sur notre département, nous n’avons que des produits sous signe de qualité AOP-IGP. La contractualisation existe déjà chez nous, chaque année nous négocions le prix du lait à la hausse ou à la baisse. Ce sont nos coopératives qui négocient avec des industriels comme Lactalis et depuis deux ou trois ans, cela fonctionne bien. Nous avons construit cela grâce au pastoralisme et au tourisme, mais on ne peut pas avoir partout des produits de niche et d’exception, il faut aussi des produits de grande consommation rémunérés au juste prix », explique Guillaume Léger, président de JA Haute-Savoie.
Les centrales d'achat prêtes à respecter la loi
Contacté, le groupe Carrefour se dit « tout à fait disposé à payer les agriculteurs au juste prix et à respecter la loi Egalim 2 », ajoutant par ailleurs que « c’est avec les industriels que nous discutons, pas avec les agriculteurs ». En réponse à la mobilisation, l’enseigne a également proposé une rencontre avec les élus syndicaux au Salon de l’agriculture à Paris. Les responsables syndicaux espèrent obtenir un plan d’action de la part du groupe afin que la valeur redescende aux agriculteurs dans le cadre de la contractualisation.
Dans l’Allier, Christophe Jardoux, président de la FDSEA, a rencontré le responsable de la centrale d’achats de E. Leclerc : « Il nous a assuré travailler depuis huit jours sur le sujet. J’ai également pris contact avec les établissements Puigrenier, un abatteur de Montluçon, fournisseur important de la SCA Centre. Aujourd’hui, ils sont prêts à accepter des hausses mais en toute transparence. Malheureusement, la loi Egalim 2 fait apparaître trois façons de négocier et, forcément, chacun d’eux va choisir la moins transparente pour ne pas dévoiler les prix de vente à ses concurrents. Il faut donc partir sur des contrats tripartites qui seront totalement transparents car l’ensemble des acteurs apparaissent dans la négociation ».
Pour lui, il n’existe aucune fatalité : seul un combat collectif peut permettre d’obtenir des résultats. « Les établissements Puigrenier évoquent une perspective de 5 t hebdomadaires. Un effort important qui prouve que les mobilisations successives servent à quelque chose. Dans un second temps, nous devrons vérifier que les choses se réalisent vraiment. Il faut cranter les choses avec ce référentiel de coûts de production, c’est plus que primordial si on veut continuer d’exister ».